L’activité hôtelière connait depuis dix ans des évolutions spectaculaires :
- Développement des chambres d’hôtes et Airbnb ;
- Émergence des online travel agencies (OTA) comme Booking, Expedia, Hotel.com, prélevant sur l’exploitant de fortes commissions ;
- Modification quotidienne des tarifs des nuitées (voire heure par heure) ;
- Accroissement important de l’activité touristique dans tout le pays (1 re destination du monde, etc.)
Les valeurs des fonds hôteliers ont explosé depuis cinq ans et atteignent des multiples de start-up. Des concentrations s’opèrent désormais en chaîne, à l’échelle à la fois internationale et locale. Tout a changé, poussé par la mondialisation de cette activité et la dématérialisation de la relation avec les clients, mais pas la « méthode hôtelière ».
Il était donc indispensable de permettre aux juridictions de disposer des moyens de fixer des loyers en connaissance de cause.
Paris étant la principale ville touristique de France, la Compagnie des experts en immobilier commercial et d’entreprise près la cour d’Appel de Paris, a décidé de poser les principes d’une rénovation.
Cette réflexion a été entamée dans une période où l’activité touristique était prospère. Il n’est, toutefois, pas ignoré qu’un retournement de tendance s’opère entraînant, notamment, une baisse importante des taux d’occupation et des prix moyens qu’il conviendra de prendre en compte.
Les préconisations ci-après forment donc un canevas général à adapter au cas par cas par les experts et les juges.
Elles ne constituent en rien un barème devant imposer à tous les établissements, tant la diversité fait la profondeur et l’originalité de ce marché.
L’urgence était de montrer que les acteurs du marché n’effectuant aucune recherche théorique de types économique et juridique, les experts judiciaires se devaient de constituer ce relais, comme cela fut le cas de tout temps, surtout en matière de fixation des loyers des locaux monovalents.
Les éléments périmés
La méthode partait de chiffres d’affaires théoriques TTC déterminés par les prix affichés, lesquels sont désormais très supérieurs à ceux pratiqués. Le chiffre d’affaires théorique initialement établi après déduction des taxes (TVA et taxe de séjour le cas échéant) devait être immédiatement corrigé (segmentation de la clientèle).
L’abattement était important et empirique, mais indispensable.
Traditionnellement, seul le chiffre d’affaires hébergement était considéré. Or les opérateurs actuels considèrent tout le chiffre d’affaires : hébergement mais également petits déjeuners, parking, restaurants, location de salles, séminaires, etc. Tel est le marché.
Les loyers renouvelés ne peuvent ignorer ce marché.
La part de commissionnement des centrales de réservation (OTA) représente entre 15 et 25 (voire plus) du chiffre d’affaires, hébergement généré par lesdites centrales.
Cette part issue des centrales peut même atteindre 60. De ce fait, se pose la question de la propriété de la clientèle et du chiffre d’affaires sur lequel prélever le loyer : celui facturé au client ou celui restant dans la caisse de l’hôtelier ?
La classification des hôtels en nombre d’étoiles est devenue floue car les critères d’Atout France sont multiples, peu hiérarchisés et peu lisibles. D’autre part, le poids des critères non immobiliers s’est accru, de sorte que le marché parle maintenant de « vrai 2 étoiles », de « vrai 3 étoiles », d’un hôtel «3-4 étoiles » pour corriger la classification.
Par ailleurs, un label « Palace » est venu compléter la classification ancienne.
Dès lors, la part de prélèvement du chiffre d’affaires servant à fixer le loyer, anciennement calquée étroitement sur le nombre d’étoiles, est devenue incertaine, voire obsolète.
On a pu être tenté, dans un souci d’actualité, de faire reposer la méthode sur l’analyse des performances d’exploitation de l’hôtel et de considérer comme pertinente celle réalisée par l’exploitant, sans tenir compte de la taille de l’établissement, de son confort, de ses services, de sa bonne ou mauvaise gestion, etc. C’est la présentation comptable qui constituait la base de l’analyse, celle-ci étant propre à l’exploitant, alors que la valeur locative doit tenir compte tant de l’emplacement que des caractéristiques du bien immobilier.
Il est dans l’esprit des textes qui régissent la propriété commerciale que la valeur locative d’un bien monovalent soit recherchée dans une logique normative sans considération des performances à tel ou tel exploitant.
Ces faits nouveaux ont conduit la CEICE a reconsidérer la méthode et à formuler des propositions. Une méthode hôtelière actualisée doit être à la fois fidèle aux principes du Code de Commerce et cohérente avec les pratiques du marché.
Les contraintes juridiques
Le principe selon lequel le bailleur n’est pas l’associé du locataire doit être rappelé comme incontournable. A cela près qu’en définitive c’est bien un partage de valeur qu’il faut organiser.
En matière de locaux monovalents, le loyer est usuellement calculé en termes de quote-part du chiffre d’affaires théorique (cinéma, théâtre, garage-hôtel, etc.) même si les valeurs étriques prennent peu à peu de l’importance, surtout lorsque le chiffre d’affaires théorique n’est plus appréhendable.
La valeur locative se détermine sur la base d’un flux théorique de chiffre d’affaires à considérer dans une vision plus actuelle, les statistiques de taux d’occupation et de prix moyens étant lissées.
Les contraintes de marché pour investir dans l’hôtellerie
Vu le développement des centrales de réservation et le contact quotidien des hôteliers à Internet, le chiffre d’affaires à considérer est celui hors taxes et hors commissions à verser à ces centrales, et tenant compte des rabais pratiqués au quotidien pour les réservations en ligne.
Les marges d’exploitation d’un fonds d’hôtel décroissent quand le chiffre d’affaires est principalement issu des agences de commercialisation (OTA) et de réservations de dernier moment sur Internet.
Le chiffre d’affaires hébergement est l’élément phare considéré sur le marché, tandis que les recettes annexes constituent, en région parisienne, un appoint surtout issu du travail de l’exploitant, mais rendu possible par la configuration des lieux dans l’emplacement considéré, Tel n’est pas le cas dans les autres régions, les locaux étant souvent plus vastes, ce qui permet de générer des recettes annexes importantes, et même parfois autonomes.
Le chiffre d’affaires hébergement doit donc être privilégié dans l’analyse.
Les hôtels ont des tailles optimales suivant les emplacements (usuellement 60 à 80 chambres à Paris, 30 à 40 chambres en province) et leur capacité contributive à rémunérer l’immobilier en dépend. Le marché des hôtels de 15 à 30 chambres et l’hôtellerie individuelle ont aussi leurs particularités, les gros porteurs de plus de 200 chambres également.
Le marché privilégie aujourd’hui les établissements proches de ces standards (ni trop petits ni trop grands, pour optimiser le profit. Mais la plupart des formats sont aptes à trouver leur niche.
La taille des chambres et le confort constituent des éléments forts dans le choix du client, outre le prix, mais aussi l’accueil, pour les plus petits établissements.
L’établissement idéal est celui qui mixe la clientèle de tourisme et d’affaires sur la plus longue période d’ouverture, sans césure entre semaine et week-end.
Les références à des loyers d’hôtel nouveaux correspondent à des établissements neufs« clés en main » où tout a été financé par le bailleur, le locataire n’ayant pas acquis de fonds de commerce,
Or, au moment du renouvellement, il faut considérer la part de rémunération devant être attribuée au local et celle à être dévolue à l’auteur de l’investissement !confort, piscine, ravalement, aménagement, etc.). Qui a payé le garnisse ment, le mobilier, les améliorations immobilières?
La difficulté tient à ce partage.
Ici, la lecture des clauses d’accession s’impose, Rappelons, cependant, que le formalisme imposé au locataire par l’ex-loi du 1″ juillet 1964, devenue l’article L, 311-2 et suivants du Code du tourisme (notification, délai, etc.), ouvre le champ à un contentieux que le marché ne comprend pas.
Les conséquences actuelles du non-respect de ce formalisme créent des tensions, Ce point juridique ne sera pas abordé ici.